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The River de Frank Borzage (1929)

 

Les débuts du cinéma

La médiathèque Michel Courot (Saint-Paul-en-Jarez) présente durant tout l’automne une sélection de DVD des premières décennies du cinéma, effectuée à partir du fonds de la Direction départementale du livre et du multimédia, autour de cinq thématiques : le cinéma des premiers temps, le burlesque et le comique, le film d’art, La naissance du cinéma russe, le Kammerspiel et l’expressionnisme. Avec des films de Murnau, Lang, Griffith, Pabst, Eisenstein, Méliès, Chaplin, B. Keaton, etc.

L’inévidence du cinéma muet et du noir et blanc

L’existence du cinéma en noir et blanc et muet des débuts semble une évidence : le noir et blanc a précédé la couleur et le son est apparu par la suite - même si le cinéma a été accompagné très tôt de musique - du fait de l’évolution des techniques, de même que les photographies de nos aïeux sont en noir et blanc ou en sépia. Mais il y a là en partie une fausse évidence. Le cinéma a été en noir et blanc durant environ un demi-siècle mais muet durant seulement un peu plus de trois décennies, et ce cinéma des débuts aurait pu n’être qu’une ébauche du cinéma qui suivrait. Or, il en  a été tout autrement, non seulement ce cinéma constitue un univers à part entière, mais sous cette forme le cinéma s’est déjà trouvé et affirmé pleinement comme un art.

En outre il y a eu dès les débuts différents essais d’introduction du son et surtout de la couleur. On sait que certains des premiers films de fiction, de Méliès, ont eu des pellicules coloriées ; la première version du Nosferatu  de Murnau (celle en 18 images par seconde) était teintée en monochromie, différentes teintes se succédant selon les scènes ; bien plus, la première version des 10 Commandements de Cecil B DeMille de 1923 - déjà en partie en couleurs - jouait sur l’opposition entre le noir et blanc (pour l’histoire moderne) et la couleur (pour le récit biblique). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le noir et blanc y était associé à la représentation du … monde réel, et la couleur au merveilleux, au rêve, comme ce sera le cas plus tard dans Le Magicien d’Oz de Victor Fleming.

Pourtant le noir et blanc, c’était moins la grisaille évoquant la vie quotidienne, que le terreau propice au développement d’un art de la lumière, d’un art du clair-obscur. Parallèlement l’absence de paroles a poussé ce cinéma vers l’excellence, l’art de la pantomime, qui demande une forme d’exagération, ne supportant pas la médiocrité ni la demi-mesure, ou bien ces films ont été voués à apparaître vite désuets, caricaturaux et un peu ridicules, ou bien cet art a dû pour s’exprimer se dépasser et se confronter avec l’absolu, - et ce fut Charlot, qui permit au cinéma d’atteindre déjà sa plus haute expression.

The River de Frank Borzage (1929)

Mais un film pourrait à lui seul résumer le caractère unique et irremplaçable de ce cinéma : le film du cinéaste américain Frank Borzage The River, (titre donné en France à ce film : La femme au corbeau), tourné durant l’été de 1928, aura connu un destinée singulière puisqu’on n’en a conservé qu’une copie incomplète, 43 minutes seulement sur 84 ; on l’avait d’abord estimé définitivement perdu (mais auparavant lors de sa diffusion en France il avait eu le temps d’être remarqué par les surréalistes) jusqu’à la découverte de cette copie partielle, complétée plus récemment par la découverte de 5 minutes issues d’une… coupe de censure suédoise ; en ajoutant des intertitres résumant les parties perdues on aboutit à 54 mn de film. Très rarement diffusées à la télévision au fil des décennies, ces précieuses minutes sauvées de l’oubli existent aujourd’hui en DVD (éd. Film muséum 2009, et dans le coffret de Carlotta films de 2010).

Il n’est pas indispensable d’en résumer l’intrigue, tirée d’un roman de cette époque de Tristram Tupper, le film, privé des scènes où se trouvent les principales péripéties dramatiques, presque entièrement réduit à la confrontation entre le héros Allen John Pender et Rosalee, la femme au corbeau, s’en trouvant comme ramené à l’essentiel. Doté d’une bande son d’une rare intensité, avec un thème original d’Ernö Rapée, puisant aussi dans la musique des grands compositeurs romantiques (le poème symphonique les Préludes de Liszt notamment, utilisé de façon saisissante), il s’agit d’un film incandescent, comme on l’a déjà qualifié à juste titre, - quelques chose comme l’équivalent cinématographique d’un poème de Rimbaud.  Il fait partie d’une série de films que le cinéaste Frank Borzage réalisa à la même époque (L’ange de la rue, Lucky star, L’heure suprême) et qui se distinguent par leur idéalisme sans concessions, mais ce film fut sans doute son chef d’œuvre. Plus le temps passera et plus ce vestige de film apparaîtra comme étant aux débuts du cinéma ce que la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace sont à la statuaire de la Grèce antique.

 

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