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Un de ces poètes dont les écoliers français ont appris au moins un poème un jour ou l'autre à l'école

Jacques Charpentreau est décédé assez discrètement l’an dernier, mais son nom est familier à beaucoup, car il était depuis plusieurs décennies un de ces poètes, - avec La Fontaine, Prévert, Maurice Carême et quelque autres, dont les écoliers français ont appris au moins un poème un jour ou l’autre à l’école.

Des Sables d’Olonne, sa ville natale, à Paris, où il a présidé jusqu’à sa mort la Maison de Poésie, et dirigé sa revue appelée Le coin de table (car c’était sur un coin de table de cette maison d’Emile Blémont qu’après un repas un certain Arthur Rimbaud s’était appuyé, le temps de poser pour le peintre Fantin-Latour, aux côtés de Verlaine et de quelques autres) – Jacques Charpentreau n’a cessé sa vie durant de se mettre au service de la poésie, à travers d’innombrables initiatives et publications : anthologies, articles, ouvrages destinées à la jeunesse, tout en donnant une œuvre personnelle qui comporte une trentaine de recueils.

Il a multiplié jusqu’au bout livres et articles, des articles aussi pugnaces que sensibles dédiés à la poésie et aux poètes du passé et du présent, et des recueils impeccables, édités ces dernières années directement par la Maison de poésie, d’où hélas leur plus faible diffusion.

Et pourtant ! Pour n’évoquer que ses tous derniers recueils (Ombres légères, élégies, 2009 ; Les secrets du royaume, Poèmes pour de jeunes lecteurs, 2014 ; Galerie des poètes français, 2015 ; Un si profond silence, 2016), quelle vigueur, alliée à une perfection de la forme poétique, dans l’expression à la fois d’un émerveillement préservé, mais aussi d’une mélancolie très présente dans son ultime recueil.

Et puis, jamais éteint chez lui, le feu d’une révolte, d’une sourde colère contre la violence irrémissible du cours de l’histoire ; ainsi dans le sonnet "Un inconnu", d'Ombres légères :

 

"Un inconnu", Ombres légères

Mais toi, mon pauvre ami, qui sait encore ton nom ?
Je témoigne aujourd’hui pour Jacques Salomon
Dans Paris asservi par une horrible faune,
Lorsque pour obéir à l’ordre des bourreaux
Nous prenions le dernier wagon dans le métro
Avec nos quatorze ans et ton étoile jaune.

Succédant à Ombres légères, il est beau que parmi ses trois derniers livres on trouve un ensemble de poèmes destiné à la jeunesse, un hommage en vers à la poésie française et ses poètes, et enfin un recueil très personnel d’élégies.

 

"Un bon petit diable", Les secrets du royaume

Dans Les secrets du royaume, destiné aux enfants, Jacques Charpentreau renouait avec la veine primesautière et enchantée, volontiers ludique, qui l’a rendu célèbre ("Un bon petit diable") :

Il fait deux pas en avant,
Il en fait quatre en arrière,
Il s’envole dans le vent,
Il plonge dans la rivière,
Quand ou le trouve on le perd,
Le petit diable Vauvert.


Galerie des poètes français

Dans sa Galerie des poètes français, il montrait encore une fois sa réceptivité à la diversité des styles et des voix de la poésie, et on ne parvenait pas à lui en vouloir d’avoir exclu Claudel de sa galerie, car on se souvenait de ses articles si vifs sur la versification française, où se manifestait non seulement son amour de la poésie mais aussi sa connaissance du vers français, et où il avait démontré que le verset claudélien n’était qu’une forme de prose, éventuellement de prose poétique, - alors, sans partager ce parti pris, on l’accueillait cependant avec le plus grand respect .

 

"Le petit enfant au tablier noir", Ombres légères

Concluons en laissant la parole à Jacques Charpentreau, à travers un poème où s’unissent peut-être ses plus grandes sources d’inspiration : l’émerveillement de l’enfance et la mélancolie face à l’histoire et au temps qui passe. Le vieil homme a disparu, mais voici qu’est réapparu Le petit enfant au tablier noir (extrait du recueil Ombres légères) :

Le petit enfant au tablier noir
Les yeux grands ouverts étonné de voir
La foule des gens le flot des trottoirs
Puis les murs fermés la cour de l'école
La course les jeux chat et pigeon-vole
Gendarmes voleurs c'est lui qui s'y colle
Le maître savant la craie les cahiers
Les doigts hésitants tachant le papier
Les cartes aux murs les vieux encriers
Grammaire et calcul la chanson des tables
Leçons et devoirs réciter les fables
Livres et crayons au fond du cartable
Tout apprendre pour enfin tout savoir
Le petit enfant au tablier noir
Qui se regardait au fond du miroir
Devenir un autre en restant le même
Celui qu'enchantaient les mots des poèmes
Parcourant le monde au hasard des vers
Ecrivant rimant à tort à travers
Ce chant délivrant tout un univers
Et la source vive où jaillit la vie
Et la vie toujours par la vie suivie
D'autres yeux d'enfants que la vie convie
Si loin si perdu l'enfant du passé
Une croix d'honneur et le cœur blessé
Le liseré rouge est-il détressé
Malgré tant d'années son ombre persiste
Dans son sarreau noir je sais qu'il existe
Il est toujours là silencieux et triste
Je le reconnais quand il revient s'asseoir
Au fond du jardin près de moi le soir
Le petit enfant au tablier noir.

 

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